Auteure : Saeeda Otmantolba.
Titre : « Je m’excuse pour le bonheur. »
Editions : Lazhari Labter/col : Ilhem/sept 2014
Ambigu, d’emblée, le titre nous laisse perplexe. Selon ma lecture, deux principales hypothèses jaillissent : l’auteure s’excuse-t-elle d’être heureuse, de le reconnaître, de le décrire, de le dire impudemment, insolemment alors que d’autres, spectateurs transis, ignorent cet état de grâce valeureux, cette dimension unique de l’esthétique du vivre et se sentent offensés, injustement privés d’un droit naturel consubstantiel au fait d’exister?
Ou, s’excuse-t-elle de n’avoir pu offrir le bonheur tant attendu par d’autres parce que promis et que promesse est serment solennel?
Or, à la bonne heure, le bonheur ne se soustrait pas, il vient en son écrin et en émerge tout à la fois. Le bonheur brille de tous ses éclats sans être briqué ou frotté comme un vieux cuivre au miror. Le bonheur est bonne heure, heure heureuse, heures heureuses, spacieuses à l’infini, précieuses dans des mains dispendieuses d’en jouir et d’en faire jouir.
En traversant la poésie de Saeeda Otmanetolba, en suivant « les chemins », « sentiers » et «venelles » dont elle parle tant ; si le bonheur n’est pas absent, il résiste à l’intuition, il se dérobe à la perception, il s’interdit à la conception tout en hurlant sourdement son souhait d’être, de se manifester, de s’incruster dans l’écriture.
Et le bonheur griffe l’écriture, la défigure au lieu de la transfigurer, de l’élever aux vœux de la poétesse. Le bonheur est bien vivant, dans son suaire de gisant, il se refuse à l’agonie.
Et, encore une fois, la Poétesse s’en veut. Elle se démène et se malmène dans une image d’elle qui n’est pas sienne : « la marionnette », « La poupée de chiffon »
L’écriture même n’est pas sienne, elle est celle de la douleur imméritée, à laquelle elle souhaite échapper et vers laquelle ON la ramène :
PEUR
« Mes lèvres jointes s’écartent
Mon corps est tremblant
Je pleure je crie puis je m’enfuis
Je me fais forte je me bâtis je me détruis ! » [p39]
La poétesse nous dit qu’a chaque velléité de l’expression de sa singularité, de son authenticité donc de sa volonté d’être, une volonté contraire vient à bout de ses tentatives.
« Je me fais forte je me bâtis je me détruis »
L’absence de ponctuation forte après « je me fais forte » induit le lecteur à confusion or, l’opposition des deux verbes pronominaux « je me bâtis » « je me détruis » l’éclaire.
« Je me fais forte » non suivi de deux points, non réitéré avec « je me détruis » accuse la volonté adverse.
Le vers est à comprendre ainsi :
Je me fais forte : je me bâtis ; je me fais forte : je me détruis.
DEPART
« Je me mets sous l’égide du destin
et des bouts de mes doigts je me fais un festin »[p29]
Et la poétesse de se mordre les doigts de s’abandonner aussi à l’inexorable et l’inattendu.
EVE
Arrivée à son illusoire Eden
Eve lance un cri strident
Jonchant le sol de ses larmes
Puis un instant se ressaisit
Pensant à l’harmonie des trois cent soixante vies
Qu’elle garde dans son ventre
Eve alevinera la terre le ciel
Eve alevinera le monde
De sa vie.
La poésie de Saeeda Otmanetolba, est une plainte, une complainte, un gémissement, un long cri de détresse, un hurlement, un appel au secours. Les poèmes révèlent la femme torturée par l’impuissance qu’on lui impose et qu’on l’oblige contre toute évidence à reconnaître. La poétesse est aussi torturée selon moi, par son souhait de maternité :
« Pensant à l’harmonie des trois cent soixante vies
Qu’elle garde dans son ventre »
L’expression « Trois cent soixante vies » se retrouve dans 4 différents poèmes.
Les poèmes de Saeeda Otmanetolba, sont un acte d’accusation et par contre coup une revendication d’innocence du crime commis contre elle. Elle n’est pas complice d’avoir été mise au supplice. La poétesse reconnaît son ingénuité souveraine qui alimente sa force vitale mais qui accrût la puissance de l’arme fatale dont elle subit encore les effets dévastateurs et les affres resurgissant.
Poésie de la douleur où l’on sent l’omniprésence de la poétesse, poésie cathartique, « Je m’excuse pour le bonheur » loin de se confiner dans un égotisme fort compréhensible, dépasse ses propres peines pour se pencher sur celles d’autrui.
Douloureux, le recueil se réclame d’une générosité extrême et d’un fol amour de la vie.
Fateh Boureboune.