samedi, avril 27, 2024

Yano las : « De May au Mahdi »

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Auteure : Yano las.
Titre : De May au Mahdi.
Editions : Aile de May.

Pour donner le ton du texte je commence par quelques extraits :

[p31] « Sur fond de modernité dans l’air du temps, l’individualisme a gagné tous les cœurs, gagné tous les esprits à tel point que seuls s’en sortent les couples et familles qui n’ont pas fait de la religion Islam une doctrine, mais un ensemble d’us et coutumes, une simple identité culturelle, une certaine gastronomie, sans plus : couscous royal et thé à la menthe. »

[p31] « Il ya de moments ou il ne reste plus que Dieu. »

[p45] « On m’avait enfermée dans un rôle dans lequel je devais incarner l’Islam avec tout ce qu’il avait de ringard, de dépassé, de mal, de mauvais, de pauvre, d’indigent, de miséreux. »

[p49] « Je suis née du viol dans une famille très croyante. »

[P51] « …j’aurais voulu avoir un père pour savoir comment se marient les filles des pères. Je suis la fille de ma mère. Je n’y ai pas eu droit. Je ne le saurai jamais. »

[p96] « Je vais écrire le livre de ma vie, de la vie, du monde, un roman, une complainte, à un ami absent, un frère jamais né, un étranger inconnu : La Mahdi attendu ».

[p211] « Cher Mahdi, n’ayant confiance en aucun musulman ou musulmane sur cette terre, j’ai choisi de donner ce manuscrit à lire ou à préfacer à la dame qui avait justement fait la préface de mon deuxième recueil de poésie. »

Mélange de genres : Prose, poésie, dialogues internet, invocations et mélanges de langues : Français, arabe, anglais , ce journal intime au contenu épistolaire est à la foi, une confession, une complainte, une supplique, une série de questionnements, une théorie de réponses, un acte d’accusation, un plaidoyer, un appel à témoin et une prise à témoin. Un autre pot-pourri habilement nourri, subtilement étagé.

L’auteure qualifie son texte intitulé « de May au Mahdi » d’ « Affligeant, pathétique. » Elle dit dans les termes en [p 205] « Je viens de relire un bout de ce journal et je le trouve affligeant, pathétique. » A remarquer que l’absence de conjonction de coordination entre les deux qualifiants est allusive d’une gradation.

En effet, l’affliction et le pathos forment la substance du texte, l’âme de chaque complainte adressée sous forme de lettre au Mahdi. Ils sont la matière de chaque échange avec des correspondants internet. « May porte dans son âme et dans sa chair une blessure ouverte qui ne s’est jamais fermée. Arrivera-t-elle un jour à cicatriser ? » [P7]

Toutefois, le refus du fait accompli, le refus de l’injuste destin, festin de hyènes aux instincts maladifs, le refus de l’aval ignoble que semble apporter l’interprétation de la religion au statut ambigu, péniblement inconfortable de May, le refus de l’arrière pensée tenace et obtuse insensible à toute érosion par la raison ou les sentiments ; ces refus, cette résistance altière, empreignent l’écriture d’une pudeur magnifique, d’une fierté que rien ne peut entamer ou outrager. De l’humilité sans humiliation, de la ténacité sans arrogance, du répondant contendant sans laisser de traces, une mise en farce de farceurs aux valeurs rances et rancies. Un combat serein mais d’airain, mené pour la victoire de la vérité et des hautes vertus humaines.

A défaut de se confier aux humains, May s’abandonne à l’espoir qu’un jour prochain, à l’avènement du Mahdi, ses souhaits, ses prières soient exaucées comme une revanche prise sur une trop longue patience tourmentée. Que ce même Mahdi miraculeux accomplisse les miracles qu’elle attend.

De May au Mahdi ; le titre désigne avec précision le destinateur et le destinataire, le locuteur et l’allocutaire, le scripteur et le lecteur. Le texte n’arrivera jamais au Mahdi, ce dernier n’est doué ni d’omniscience, ni d’ubiquité, ni de la faculté d’exaucer les prières. L’attente de l’arrivée du thuriféraire est un symbole d’espoir en un lendemain meilleur, un refuge bienvenu, une oreille compatissante, une consolation. « Il ya de moments ou il ne reste plus que Dieu. »[p31] Le Mahdi est l’envoyé éclairé de Dieu, une des formes de son incarnation.

Le lecteur est le réel destinateur du texte. Il est aussi l’interlocuteur dans les échanges par internet. Il est mis dans la confidence du contenu des lettres que May adresse au Mahdi. Il n’en est pas le censeur, il est l’objet de la lettre, son thème principal.

Un journal intime contient l’intime et l’intimité, les révéler consiste à se mettre à nu sous le regard sévère d’une société imperméable à toute forme de générosité dans certains cas, dans tous les cas. Or, cette mise à nu, le lecteur la subit par à-coup, insensiblement, délicatement, sans brusquerie, une sorte d’effeuillage dans un automne sans grand vent.

Les lettres sont adressées au Mahdi, le messager miraculeux dont l’arrivée est attendue dans sept ans semble-t-il. La symbolique du chiffre sept et l’imminence de son arrivée justifient la raison du choix du destinataire. Il pourrait être le sauveur, le redresseur de torts, le correcteur d’erreurs, le vengeur juste et bienveillant.

Le lecteur est non seulement impliqué dans l’aveu, le désaveu, le souhait, l’espoir, le désespoir, l’attente et l’incertitude mais aussi informé de qu’il est, initié à ce qu’il est réellement selon May porteuse d’une douleur dont elle n’est point responsable et pour laquelle elle est tragiquement et impitoyablement condamnée . Condamnée à vie d’être en vie, par une famille qui la renie à la mort de sa mère, d’un beau père opérant un soudain revirement, d’un géniteur craignant pour l’héritage de ses enfants et la société la reniant deux fois : l’une d’être reniée et la seconde de la renier pour son statut de fille adultère. Ainsi reniée, May s’en va vers un ailleurs propice à la réalisation de ses ambitions et à son anonymat. « Autrement dit, quitter la maison, la mère patrie, en sortant par la grande porte avec un coup de pied dans les reins. Une vie se termine, une autre vie commence. »[p43)

May, le personnage de « Ad feminam » est cinquantenaire, elle mène un dur combat sur plusieurs fronts. La famille, la maladie, le passé persistant est cuisant par sa brûlure, les besoins matériels quotidiens, la recherche d’un travail.

May s’inquiète, se questionne et quête. Elle enquête sur internet à travers des blogs. Elle suggère des solutions même au Mahdi pour marquer son impuissance à ne pouvoir lutter contre le monde ou le changer. May en appelle aux témoignages de correspondants et prend à témoin le Mahdi de toutes ses préoccupations.

Dans « De May au Mahdi » La religion, les religions, les faits religieux, les courants, les sectes, l’esprit et la lettre de l’islam, les prophètes sont au centre du texte, prisonniers de l’écriture et libérés par elle. Le discours théocritique est d’une subtilité à faire passer les questions les plus audacieuses pour des lieux communs de la commune discussion. La famille, l’homme, la femme, l’ethnocrate caucasien et la beurette, les us et coutumes, les thèmes se multiplient dans une exfoliation délicieusement et intelligemment conjuguée.

La poésie, jalonnant les pages irrégulièrement, parfois pédagogique, ne manque pas de beauté. Elle est sertie dans le journal intime comme une part d’intimité, une alcôve un peu plus profonde, un peu plus révélatrice de l’âme. Elle s’oppose par son style à celui des lettres d’une simplicité et sobriété qui ne nuisent en rien à leur beauté parfois candide et d’autres éminemment pertinentes de réflexions sociologiques, psychologiques, théologiques.

Le journal est verrouillé sur des invocations qui me font dire : « La valeur incantatoire des mots peut-elle générer leur valeur opératoire ? »

Pourquoi ? Parce que May, n’a pas d’ami imaginaire. Son journal est tout de raison et pas sans raisons.

Fateh Bourboune

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